Gervais Koffi Djondo est un entrepreneur togolais âgé de 87 ans. Originaire d’Aného plus précisément de Djondo-Condji, il a su se démarquer grâce à sa réussite et son leadership. Rigoureux, discret et tenace, il fait partie des grandes figures de la réussite africaine et du panafricanisme économique. Père fondateur de la banque panafricaine Ecobank et de la compagnie aérienne Asky, voici son histoire dans ses premiers pas d’entrepreneur opiniâtre…
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Qui est Gervais Koffi Djondo, fondateur d’Ecobank, la banque panafricaine ?
Gervais Koffi Djondo est un octogénaire peu connu du grand public en dehors du Togo et discret. Il est pourtant une des figures légendaires dans le milieu des affaires en Afrique. Il a cofondé Ecobank, le premier groupe bancaire privé panafricain, et est le père de la compagnie aérienne Asky.
Deux histoires d’une réussite qui ont plusieurs points communs et qui ont contribué à nourrir le mythe du milliardaire togolais. Elles ont toutes les deux une dimension panafricaine, elles sont nées grâce à l’initiative privée. D’ailleurs elles ont été conçues et mises en œuvre par Koffi Djondo. Forbes Afrique raconte le parcours d’un homme qui se définit comme un panafricaniste de l’économie.
L’origine du fondateur de la compagnie aérienne Asky
Djondo-Condji est une localité située à une soixantaine de kilomètres de Lomé, non loin de la frontière béninoise. À Aného, ce village est une destination prisée par tant de figures prestigieuses. Mais pour y accéder il faut emprunter une route au goudron ravagé par les nids-de-poule. A la fascination cède alors la surprise, puis l’émerveillement. Et c’est là la terre natale de l’homme d’affaires togolais Gervais Koffi Djondo.
Le village a hérité du nom de celui qu’une personnalité béninoise a appelé le « mastodonte du système financier ». C’est également là qu’il a érigé sa résidence. Il s’agit en réalité d’un domaine qui s’étend sur quelques milliers d’hectares. D’abord la surprise, donc. Car, arrivé sur les lieux, on vous propose de faire le tour de propriété. Là, ce qui frapperont votre imagination sont les improbables animaux qui peuplent l’endroit. Des crocodiles en cage, des tortues dodues, des autruches, des paons…pour ne citer que les plus insolites. Et ce n’est pas tout. Dans les salons du maître des lieux, les magnifiques pièces d’art contemporain africain ne vous laisseront pas indifférent.
Le début du parcours de l’entrepreneur togolais
L’aventure africaine de Djondo commence dans les années 1950 à Niamey, au Niger. Il est expert-comptable et travaille à la Régie générale des chemins de fer et travaux publics du Niger. Puis il devient directeur administratif et financier de la société française Sotra. « J’avais un statut d’expatrié et j’étais logé dans une résidence du quartier réservé aux colons, raconte- t-il. Mais j’ai découvert la situation déplorable des travailleurs nigériens. Bien que cadre, je me suis inscrit au syndicat CFTC, avec pour objectif d’aider mes frères africains qui étaient maltraités dans l’entreprise. »
En 1956 est signée la première convention collective de l’Afrique de l’Ouest. Djondo se lie d’amitié avec le syndicaliste nigérien Djibo Bakary, très proche de Sékou Touré, le leader politique guinéen. C’est une période d’effervescence politique. « Djibo Bakary m’approche en 1958. Il veut appeler à voter “non” au référendum sur la communauté », se souvient Djondo. Le syndicaliste devient un leader progressiste qui dérange et irrite l’administration coloniale. Il est nommé président du Conseil du gouvernement. Et il consulte régulièrement Djondo, qui est pour lui un conseiller informel.
Alors que la tension politique est à son comble, le gouvernement nigérien est séquestré durant deux jours sur ordre du gouverneur colonial français. Djondo, qui se trouvait dans la salle du Conseil des ministres, est retenu avec les membres du gouvernement. Lorsqu’il sort, sa société le licencie.
L’entrée de Gervais Koffi Djondo à l’École nationale de la France d’outre-mer
Une nouvelle séquence de son parcours s’ouvre alors. Il décide de rentrer au Togo, son pays. Mais l’administrateur de la ville de Niamey, un socialiste français du nom de Joude, lui propose de s’inscrire à l’Ecole nationale de la France d’outre-mer, à Paris. Entretemps, le Togo est devenu indépendant. « Nous étions quatre Togolais dans cette école », raconte-t-il.
Sylvanus Olympio est alors président de la République et doit faire face à une opposition remuante. Cette dernière est conduite par son beau- frère Grunitzky. Celui-ci comptait dans les rangs de son parti un certain Nicolas Djondo, oncle de Gervais Ko Djondo. « Je suis informé du fait que le président Olympio demande avec insistance que je sois exclu de l’École. Ce qui embarrasse les autorités françaises. Je suis reçu par le président de Gaulle, qui me rassure, et je me vois offrir une bourse. Mais je vais plutôt m’inscrire à l’Institut des sciences sociales du travail. J’y passe un an de 1962 à 1963. Après le coup d’Etat qui entraîne la mort d’Olympio, Grunitzky est installé au pouvoir et il obtient mon retour à l’Ecole nationale de la France d’outre-mer. Ce qui me permet d’obtenir mon diplôme. »
La vie professionnelle de l’homme exigeant et son retour à son pays natal
Djondo réintègre alors la vie professionnelle, en occupant un poste au service du personnel de la compagnie aérienne UTA. « Je n’y reste pas longtemps, car au cours d’un séjour à Paris, le président Grunitzky décide de me ramener avec lui au Togo, où je suis nommé directeur général de la Caisse d’allocations familiales. » Nous sommes en 1964. Il crée le régime des accidents de travail, la retraite obligatoire, la pension vieillesse. En 1968, l’institution change de nom pour devenir la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS).
Entretemps, Djondo a installé une horloge pointeuse pour faire respecter la ponctualité et s’est taillé une réputation d’homme rigoureusement exigeant. L’arrivée du général Eyadema au pouvoir va apporter une nouvelle impulsion dans sa carrière. « Ce militaire, que je ne connaissais pas, me convoque un jour pour m’annoncer qu’il souhaite que je mette de l’ordre dans les services de la préfecture de Lomé. Il me nomme préfet de la capitale, fonction que je cumule avec celle de directeur de la CNSS. » Entre 1972 et 1973, Djondo fait construire pour la CNSS les Résidences du Bénin, un complexe immobilier sur 1000 hectares de logements pour rentabiliser les réserves de la CNSS.
En 1973, il devient président du Conseil économique et social. Il n’y reste pas longtemps et retourne dans le secteur privé. Le voilà directeur général de la filiale togolaise du groupe français Scoa. En 1975, il est élu président de la Chambre de commerce et d’industrie du Togo. Il reste à ce poste jusqu’en 1985 où il entre au gouvernement nommé ministre de l’Industrie et des Sociétés d’Etat. Il sera chargé de faire passer la pilule des privatisations dans ces années de crise économique. Marquées par les programmes d’ajustements structurels imposés par le FMI et la Banque mondiale.
Fondation et création de la banque de la CEDEAO
Koffi Djondo ne s’attendait pas à devenir président de la Fédération des chambres de commerce de l’Afrique de l’Ouest. Au sein de cette entité, il se lie d’amitié avec le Nigérian Adeyemi Lawson. Ce dernier était le président de la Chambre de commerce et d’industrie du Nigeria. La complicité et la vision commune de ces deux hommes seront déterminantes pour la création d’Ecobank. « C’est au sein de cette Fédération qu’est née l’idée de fonder une banque panafricaine, raconte-t- il. Lawson et moi avons pris en main le dossier d’Ecobank. Nous sommes partis de la conviction qu’il fallait qu’elle naisse dans le cadre des pays de la CEDEAO. Nous nous sommes fait le devoir d’aller rencontrer tous les chefs d’Etat de la sous-région. Mais nous voulions que le projet soit entièrement privé. Nous ne voulions pas de l’argent des Etats. Lorsque nous avons rencontré le président ivoirien Houphouët-Boigny, il était tellement enthousiaste qu’il nous a accompagnés sur le perron du palais. Devant la presse, il a déclaré publiquement que c’est la première fois que des Africains lui présentaient un projet. Et ceci sans lui demander d’argent. »
La Fédération des chambres de commerce sollicite un statut de consultant au sein de la CEDEAO et est admise à l’Advisory Committee. Ceci pour se couvrir politiquement et avoir la caution de l’institution. Pour démarrer, les membres des chambres de commerce créent Éco-promotion, une société de promotion dotée d’un capital de 500 000 dollars. L’objectif de cette dernière sera de mener les études de faisabilité. Djondo et Lawson définissent ensuite les bases de la structure du capital de la future banque. Il faut un partage équitable des parts entre les pays. Ils se sont assurés que le Nigeria et la Côte d’Ivoire, les pays leaders de la CEDEAO, aient la même part. Car il faut respecter un équilibre entre anglophones et francophones.
Pourtant, les obstacles ne vont pas manquer. Ainsi, Djondo raconte comment, alors qu’il se trouve au Sénégal avec Lawson pour rencontrer le président Diouf. Il aurait reçu à 2 heures du matin un coup de fil d’Houphouët- Boigny. Le président insistait pour qu’il vienne le voir ce matin-là. « Il me dit qu’il envoie son avion me chercher et que nous prendrons le petit déjeuner ensemble. Et il insiste pour que je vienne seul, sans Lawson. À notre rencontre, il me dit qu’il faut que ce projet soit fait dans la zone franc. Je réponds que c’est un projet qui tombe précisément dans le cadre de la CEDEAO. D’ailleurs, c’est ce que les chefs d’Etats de la région viennent de mettre en place. C’est seulement quelques jours plus tard que j’ai compris ce qui s’était passé. Après notre passage, un banquier français, ancien directeur général de la BIAO à Dakar, est venu à Abidjan rencontrer le président. »
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Des défis qu’il fallait relever
La machine était lancée. A travers les chambres de commerce, Djondo et Lawson engagent la mobilisation pour lever les fonds. Objectif : 50 millions de dollars. Au démarrage, 36 millions de dollars sont réunis par 1 200 actionnaires dans 14 pays. Plusieurs banques françaises sont sollicitées pour les aider à monter techniquement la nouvelle institution. « Toutes ont décliné notre offre, explique Djondo. Nous nous sommes alors tournés vers Citibank, qui nous a proposé une équipe. En moins d’un an, en 1985, nous avons monté la banque. Nous avons installé le siège à Lomé, non pas parce que je suis togolais, mais parce que le Togo est le seul pays qui ait accepté de nous accorder un statut fiscal de société offshore. »
Le défi sera ensuite de trouver des cadres et des managers compétents. Au départ, Ecobank recrute un directeur général britannique qui vient de Citibank. « Puis nous sommes allés chercher de jeunes Africains venant de tous les pays », raconte Djondo. La banque réussit à attirer et à développer localement des talents. Et nombre de ses hauts managers ont renoncé à des positions intéressantes dans des centres financiers en Europe et aux Etats-Unis pour rentrer en Afrique. Parmi eux, Arnold Ekpe, qui a quitté Citibank pour devenir le premier CEO africain. « En 1996, quand je deviens président du conseil d’administration, je recrute Arnold Ekpe, qui reste trois ans avant de quitter la banque, pour revenir quelques années plus tard. Mais j’ai dû l’imposer, car le conseil était très réservé sur son retour. C’est un homme brillant, avec une grande vision. Certes, il a un caractère difficile, mais tout le monde est d’accord sur le fait qu’il a réussi sa mission. »
« Dès le début, Ecobank s’est donné pour mission de bâtir une nouvelle Afrique. Soulignent Leif Sjöblom, professeur de gestion financière, et Hicham El-Agamy, directeur exécutif d’IMG, dans un article publié dans le Financial Times. Cela a donné à ses employés le sentiment que leur but était bien plus que de faire de l’argent. La banque recherchait des personnes qui correspondaient à cette culture et avaient la passion de faire la différence en Afrique. On les appelait “Eco Bankers”, pour souligner que travailler à Ecobank, c’était spécial. En un peu plus d’un quart de siècle d’existence, Ecobank s’est rapidement développée. L’institution est présente dans 33 pays africains, plus qu’aucune autre banque au monde. Elle emploie 18 000 personnes de 40 nationalités différentes. De 2007 à 2012, son chiffre d’affaires est passé de 544 millions à 1,75 milliard de dollars.
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Vers une demande du leadership de Gervais Koffi Djondo grâce à son premier succès
Le succès d’Ecobank va pousser de nombreux responsables politiques africains à solliciter Koffi Djondo. L’objectif était qu’il reprenne son bâton de pèlerin et crée une nouvelle compagnie aérienne panafricaine, après la mort d’Air Afrique. « C’est Charles Konan Banny, gouverneur de la BCEAO, NDLR et Yayi Boni, encore directeur général de la BOAD qui m’ont approché. C’était après la rencontre des présidents Gbagbo et Wade avec le PDG d’Air France au siège de la compagnie. Une initiative qui avait choqué en Afrique. Konan Banny avait été chargé de suivre le dossier de la compagnie par Gbagbo et Wade.
Mais il était arrivé à la conclusion qu’on ne pouvait rien faire avec les Français, qui voulaient absolument tout prendre. Et donc il est venu me voir. Je lui ai d’abord dit “Non, ça ne m’intéresse pas”. Il est revenu à la charge plusieurs fois et m’a laissé le dossier. Et puis finalement, j’ai dit OK. Je me suis plongé dans les détails et j’ai vu qu’ils voulaient refaire Air Afrique, c’est-à-dire une compagnie francophone. J’ai décidé de tout revoir et d’élargir le projet aux anglophones, un projet CEDEAO et non sur des bases linguistiques. »
Gervais Koffi Djondo fit naître, avec ses collaborateurs, Asky Airlines
Comme pour Ecobank, il crée une société de promotion, la Société de promotion d’une compagnie aérienne régionale (SPCAR). Plusieurs institutions financières sont impliquées : Ecobank naturellement, la BOAD, la BIDC (Banque d’investissement et de développement de la CEDEAO). La SPCAR est dotée au départ d’un capital de 1,2 million de dollars. Elle va mener les études de faisabilité. Le capital social de la compagnie est fixé à 60 milliards de francs CFA, mais 25 milliards sont libérés au démarrage. Le partenaire technique est Ethiopian Airlines, qui détient 25 % des parts, avec un contrat de gestion de cinq ans.
Lancée le 15 janvier 2010, Asky Airlines est devenue en trois ans seulement la compagnie aérienne sous régionale de référence. Elle a un taux de remplissage de 75 à 80 % et couvre 22 destinations dans 19 pays. Sa flotte est composée de 3 Boeing 737-700 et de 4 Bombardiers Dash 8 nouvelle génération. A 80 ans, Gervais Ko Djondo, même s’il n’est plus aussi actif que par le passé, est encore présent dans les grands moments.
Un leader panafricaniste qui a su se distinguer par sa réussite
Dans ces moments-là, les discours de chacune des personnalités présentes, félicitations et hommages lui tirent un sourire tranquille qui souligne son bonheur. Par conséquent, le vieil homme reste lucide.
Sa profession de foi est simple : « Le panafricanisme pour moi, ce sont des actions concrètes. Les grosses compagnies aériennes dans le monde se regroupent. Mais les pays africains continuent de créer de petites compagnies par égoïsme national. Nous devons comprendre, comme l’a dit Obama lors de sa dernière visite sur le continent, que l’Afrique de demain sera faite par les Africains. »
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